Le Syndicat des structures et des établissements vétérinaires indépendants de France (SSEVIF) explique, dans une tribune libre, pourquoi il demande le respect des lois concernant la détention du capital et la gouvernance des établissements de santé vétérinaire. Il dénonce les dérives susceptibles d'apparaître dans le cas inverse.
« Les vétérinaires indépendants de France
représentent la très grande majorité des praticiennes et des praticiens
exerçant sur notre sol. Regroupés au sein du syndicat SSEVIF* depuis un
an, nous sommes convaincus que l'indépendance capitalistique est au cœur de l'indépendance du vétérinaire, aujourd'hui comme demain.
Nous
demandons le respect des lois et des textes de droit en vigueur, dans
l'intérêt de la santé publique, du consommateur et des équipes
vétérinaires. L'interdiction de détention des établissements
vétérinaires par des entreprises de l'amont et de l'aval de la filière
est pour nous cruciale.
Nous voyons
aujourd'hui arriver des acheteurs de cabinets, cliniques et CHV** qui
détiennent également, par leur réseau de filiales, des entreprises
d'aliment pour animaux ou pour humains. Si nous acceptons ce fait, rien
n'empêchera demain des géants de l'agro-alimentaire ou du médicament
vétérinaire d'avoir leur propre réseau de cliniques vétérinaires : après
les scandales du lait infantile Lactalis, a-t-on envie d'avoir des
structures vétérinaires détenues par ces géants de l'agro-alimentaire ?
Quelle pourra être l'indépendance des vétérinaires salariés d'un
transformateur laitier intervenant dans les élevages laitiers ? La
valeur de leur certification sera nécessairement entachée de conflit
d'intérêt entre leur employeur et les exigences de la santé publique.
Si
nous acceptons ce fait, rien n'empêchera demain des laboratoires
pharmaceutiques vétérinaires d'avoir leurs propres cliniques
vétérinaires : quelle pourra être l'indépendance de prescription des
vétérinaires employés dans ces établissements ? Ce type de conflits
d'intérêt ne vous saute-t-il pas aux yeux ?
Parmi
les principaux acteurs de la constitution des réseaux (corporisation)
en France, Anicura et IVC Evidensia sont détenus soit totalement, soit
en partie par des géants de l'agro-alimentaire, respectivement Mars
(Pedigree, Whiskas , Cesar, Royal Canin, Frolic , Canigou et 50 autres
marques de petfood) et Nestlé (Friskies, Purina en petfood et une
myriade de marques en alimentation humaine à base de produits laitiers).
Acteurs de l'amont de la filière, ils sont donc en infraction avec la
législation française qui a été votée pour protéger les consommateurs.
Qui
aurait envie d'avoir un médecin diabétologue salarié par une
multinationale de la malbouffe leader mondial des sucreries ? Qui aurait
envie d'aller se faire soigner par des cardiologues salariés de Servier
? Nous croyons que posés en ces termes, tout le monde comprend les
enjeux et les risques...
La santé, humaine comme animale, n'est pas une activité de commerce comme les autres. Ces corporates
ont également à leur actionnariat, pour la plupart, des investisseurs
financiers : les fameux gestionnaires de fonds de pension : BlackRock
détient 3,7 % de Nestlé, SilverLake est entré au capital d'IVC
Evidensia. Pensez-vous sérieusement qu'ils investissent dans les
cliniques vétérinaires par philanthropie pour « décharger les vétérinaires de leurs tâches administratives » ? Ils sont là pour faire de l'argent, beaucoup d'argent.
Cela
veut dire en clair que la valeur ajoutée du travail des vétérinaires ne
leur reviendra plus mais servira à rémunérer l'actionnaire,
c'est-à-dire payer au final les retraites des Américains en Floride
entre autres. Qui est prêt à expliquer cela à ses clients ? A tous ceux
qui poussent la porte de nos cabinets chaque jour parce qu'ils ont
confiance en nous et sont convaincus que nous sommes des « bons docteurs
» ?
N'oublions pas qu'à ce jour, le
montage des sociétés rachetées leur permet de détourner l'esprit de la
loi, en laissant la majorité du capital aux vétérinaires, en leur
laissant des droits de vote mais en captant 99 % des droits financiers.
Les vétérinaires exerçants ne sont plus libres de toutes décisions et
doivent s'en remettre à un Comité de surveillance.
L'indépendance
pour nous se joue à ce niveau, en urgence, et nous soutenons la
position du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires et des conseils
régionaux qui ont refusé l'inscription au tableau des sociétés
d'exercice vétérinaire qui ne respectent pas ces règles de détention du
capital.
Les investisseurs qui
maintenant se plaignent à coup de tribunes et pétitions auprès du grand
public connaissaient très bien l'état de la loi au moment de réaliser
leurs investissements et les vétérinaires ayant saisi l'opportunité de
vendre à un prix jamais rencontré aussi. Ils ont choisi de passer en
force, à la hussarde, comme s'ils étaient dans un nouveau far west où règne la loi du plus fort.
Ce
n'est pas comme cela que les choses se passent dans un Etat de droit ;
l'Ordre des vétérinaires a pour mission de faire appliquer les lois. Dura lex sed lex. L'Ordre n'est pas générateur de législation.
Si
le législateur devait choisir de modifier les règles de détention du
capital des établissements de soins vétérinaires, l'Ordre appliquerait
les décisions votées devant le parlement. Ne renversons pas le processus
démocratique dans l'intérêt unique des financiers internationaux.
L'instrumentalisation
des conclusions tronquées du rapport du Pr Truchot commandé par l'Ordre
national des vétérinaires à l'appui de l'initiative de l'association
Véto-Entraide est choquante. Se servir de la souffrance au travail d'une
profession rudement mise à l'épreuve en omettant de souligner la mise
en évidence dans ce rapport d'une souffrance supérieure au sein des corporates
est trompeur. Se servir de cette étude en évoquant le taux de suicide
élevé pour chercher à vendre les avantages d'un rachat au profit de ces
investisseurs et stigmatiser l'Ordre dans ses décisions légitimes est un
manque de respect évident pour tous ceux qui y ont laissé la vie.
Si travailler dans des corporates
permettait de diminuer le taux de suicide parmi les vétérinaires, nos
confrères américains ou britanniques seraient épargnés par cette
hécatombe : malheureusement il n'en est rien !
Les
structures de soins modernes et performantes ont existé bien avant
l'arrivée des groupes sur le territoire, grâce à l'esprit
entrepreneurial, le dynamisme d'une profession qui a déjà su s'organiser
dans un secteur où la demande explose. Ce n'est d'ailleurs pas un
hasard si ce sont ces mêmes structures qui ont d'abord été visées par
ces groupes : elles souhaitaient s'offrir des vitrines avant de partir à
la « conquête d'un marché qui ne subit pas la crise ».
Nous
ne nous positionnons pas contre nos confrères qui exercent dans ces
groupes, qui exercent en conscience et du mieux qu'ils peuvent comme
nous tous. Nous souhaitons défendre l'avenir de la profession et sa
crédibilité auprès de nos clients et de nos concitoyens. Ne nous
trompons pas de débat. »
* SSEVIF : Syndicat des structures et établissements vétérinaires indépendants de France.
** CHV : Centre hospitalier vétérinaire.
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